Les tomates contemporaines semblent toutes originaires des régions andines côtières du Nord-Ouest de l’Amérique du Sud (Colombie, Venezuela, Équateur, Pérou, Nord du Chili). C’est en effet seulement dans ces régions qu’on a retrouvé des plantes spontanées de diverses espèces de l’ancien genre Lycopersicon, notamment Solanum lycopersicum cerasiforme, la tomate cerise (aujourd’hui répandue dans toutes les régions tropicales du globe, mais à la suite d’introductions récentes).
La première domestication de la tomate à gros fruits est vraisemblablement intervenue dans le Mexique actuel, où l’ont trouvée les conquérants espagnols lors de la conquête de Tenochtitlán (Mexico) par Hernán Cortés en 1519.
Cette domestication s’est probablement produite après celle de la Tomatille (Physalis philadelphica)38, qui était plus appréciée que la tomate à l’époque préhispanique, mais sa culture s’est marginalisée par la suite39. L’hypothèse d’une domestication parallèle au Pérou ne peut toutefois être définitivement écartée40.
Bernardino de Sahagún dans son Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne rapporte que les Aztèques préparaient une sauce associant les tomates avec du piment et des graines de courges41,42.
Diffusion en Europe et dans le monde
Solanum lycopersicum var. lycopersicum. Page d’herbier de tomates le plus ancien de l’Europe, 1542-1544. Naturalis Leiden.
Elle fut introduite en Europe au début du xvie siècle par les Espagnols, d’abord en Espagne apparemment en 1523, puis en 1544 en Italie, par Naples, alors possession de la couronne espagnole43.
La plante étant de la même famille que la belladone, plante indigène en Europe connue pour sa toxicité, ses fruits ne furent pas considérés par les « savants » comme comestibles. Feuilles, tiges et fruits immatures de la tomate renferment en effet des gluco-alcaloïdes toxiques de type solanine et chaconine, pouvant entraîner des troubles digestifs et nerveux, parfois cardiaques. Le fruit mûr, lui, n’en contient que des traces mais cette réputation à cette époque explique la résistance initiale, l’espèce étant surtout utilisée comme plante ornementale et le fruit en médecine44.
La première mention de la tomate dans la littérature européenne apparaît dans un ouvrage publié pour la première fois en 1544, les Comentarii45, de Pietro Andrea Mattioli, botaniste et médecin italien, qui en donne une description sommaire au chapitre consacré aux mandragores et l’appelle pomi d’oro (mala aurea), pomme d’or46. C’est probablement l’importation en Europe d’une variété au fruit jaune qui explique alors son nom latin Malum aureum qui donne pomo d’oro puis pomodoro47.
Elle est cultivée et consommée en Espagne probablement dès le xvie siècle car elle figure dans des recettes de gaspacho dès le début du xviie48. Dans l’Europe du Nord, et notamment en France49, elle est initialement considérée comme une plante ornementale, et n’est cultivée pour son fruit qu’à partir du milieu du xviiie siècle. Il a fallu peut-être de sévères disettes pour qu’elle change de registre classificatoire et soit considérée comme comestible50.
En Grande-Bretagne, John Gerard, botaniste et chirurgien anglais, fut le premier à cultiver la tomate dans les années 159051. Il représenta la plante, qu’il considérait comme vénéneuse, y compris le fruit, dans son herbier, The Herball or Generall Historie of Plantes. Son avis négatif prévalut en Grande-Bretagne et dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord pendant encore deux siècles.
L’introduction en France fut lente. Elle commença par la Provence. En 1600, Olivier de Serres, un des premiers agronomes français, qui cultivait son domaine du Pradel dans l’Ardèche, classe la tomate parmi les plantes d’ornement. Voici ce qu’il écrivait dans Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs :
« Les pommes d’amour, de merveille, et dorées, demandent commun terroir et traictement, comme aussi communément, servent-elles à couvrir cabinets et tonnelles, grimpans gaiement par dessus, s’agrafans fermement aux appuis. La diversité de leur feuillage, rend le lieu auquel l’on les assemble, fort plaisant : et de bonne grace, les gentils fruicts que ces plantes produisent, pendans parmi leur rameure… Leurs fruicts ne sont bons à manger : seulement sont-ils utiles en la médecine, et plaisans à manier et flairer52 »
En France, à la fin du xviiie siècle, les qualités culinaires du fruit de la tomate sont mises en avant dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
« Le fruit de tomate étant mûr est d’un beau rouge, & il contient une pulpe fine, légère & très succulente, d’un goût aigrelet relevé & fort agréable, lorsque ce fruit est cuit dans le bouillon ou dans divers ragoûts. C’est ainsi qu’on le mange fort communément en Espagne & dans nos provinces méridionales, où on n’a jamais observé qu’il produisît de mauvais effets53. »
En 1760, le catalogue de la maison Andrieux-Vilmorin classe encore la tomate comme plante ornementale54, les premières variétés potagères apparaissent dans l’édition de 177855 et dans le Bon jardinier en 1785.
La diffusion de la tomate s’accéléra en France pendant la Révolution avec la montée des Provençaux à Paris pour la fête de la Fédération en 1790. Deux restaurants tenus par des Marseillais, les Trois frères provençaux et le Bœuf à la mode participèrent à la popularisation de la tomate dans la capitale56.
Aux États-Unis, le président Jefferson, qui avait séjourné en France de 1784 à 1789, fut au début du xixe siècle un propagandiste de la tomate qu’il fit cultiver dans son domaine de Monticello en Virginie et entrer à la table présidentielle en 180657.